Georges Perec, La vie mode d’emploi : Romans, Editions Hachette, Collection Le livre de Poche, pp 466-467, 1978
« […] Olivia Rorschach est dans sa chambre. C’est une toute petite femme, un peu boulotte, aux cheveux frisés ; elle porte un tailleur de lin blanc, strict, impeccablement coupé, un chemisier de soie grège agrémenté d’une large cravate. Elle est assise près de son lit à coté des quelques affaires qu’elle va emporter avec elle- un sac à main, un nécessaire de toilette, un manteau léger, un béret orné de l’ancienne médaille de l’Ordre de Saint-Michel, représentant l’Archange en train de terrasser le Dragon, Time Magazine, le Film Français, What’s On in London- et elle relit la série d’instructions qu’elle laisse à Jane Sutton :
-faire faire une livraison de coca-cola […]
-acheter de l’Edam étuvé pour Polonius et ne pas oublier de l’amener une fois par semaine chez Monsieur Lefèvre pour sa leçon de dominos1
[…]
1. Polonius est le 43e descendant d’un couple de hamsters apprivoisés que Rémi Rorschach offrit à Olivia peu de temps après avoir fait sa connaissance : ils avaient vu dans un music-hall de Stuttgart un montreur d’animaux et avaient été à ce point passionnés par les prouesses sportives du hamster Ludovic -aussi à l’aise aux anneaux qu’à la barre fixe, au trapèze ou aux barres parallèles -qu’ils avaient demandé à l’acheter. Le montreur, Lefèvre, avait refusé mais leur avait vendu un couple -Gertrude et Sigismond- auquel il avait appris à jouer aux dominos. La tradition s’était perpétuée de génération en génération, les parents apprenant chaque fois spontanément à jouer à leurs rejetons. Malheureusement, l’hiver précédent, une épidémie avait presque entièrement détruit la petite colonie : l’unique survivant, Polonius, ne pouvait jouer seul et, qui plus est, était condamné à dépérir s’il ne pouvait continuer à pratiquer son passe-temps favori. Aussi fallait-il, une fois par semaine, le mener à Meudon chez le montreur qui, aujourd’hui retiré, continuait pour son seul plaisir à élever les petits animaux savants. »
J’ai coupé une bonne partie du texte pour aller à l’essentiel. Le principe de ce roman est le suivant : l’auteur décrit les pièces d’un immeuble parisien des caves jusqu’aux combles, en détaillant outre les pièces, les divers occupants que la bâtisse à connu ainsi qu’une partie de leur vie. Le livre comporte ainsi 107 histoires et 1467 personnages…Les histoires sont bien entendu de taille variable, mais le bouquin fait facilement ses 600 pages. J’ai opté pour lecture aléatoire, ce livre s’y prête bien. Au fur et à mesure je partagerai avec vous les histoires qui m’ont le plus marqué !